Ce n’est pas parce que l’on est spirite que l’on n’a pas droit à certains plaisirs, surtout si ses plaisirs contribuent à apaiser nos tensions, à délecter notre âme et à nous rapprocher ainsi du divin.C’est particulièrement vrai pour la musique, qui procure ravissement à ceux qui la font comme à ceux qui l’écoutent, et qui a, de surcroit, le pouvoir de réunir des inconnus qui vont communiquer entre eux après avoir vibré d’une même émotion.
«Veux-tu parler de votre musique ? Qu’est-elle auprès de la musique céleste ? De cette harmonie dont rien sur la terre ne peut vous donner une idée ? L’une est à l’autre ce qu’est le chant du sauvage à la suave mélodie. Cependant, les Esprits vulgaires peuvent éprouver un certain plaisir à entendre votre musique, parce qu’il ne leur est pas encore donné d’en comprendre une plus sublime. La musique a pour les Esprits des charmes infinis, en raison de leurs qualités sensitives très développées ; j’entends la musique céleste, qui est tout ce que l’imagination spirituelle peut concevoir de plus beau et de plus suave.»
«Le compositeur qui conçoit l’harmonie, la traduit dans le grossier langage appelé la musique ; il concrète son idée, il l’écrit. L’artiste apprend la forme et saisit l’instrument qui doit lui permettre de rendre l’idée. L’air mis en jeu par l’instrument la porte à l’oreille qui la transmet à l’âme de l’auditeur. Mais le compositeur a été impuissant à rendre entièrement l’harmonie qu’il concevait, faute d’une langue suffisante ; l’exécutant, à son tour, n’a pas compris toute l’idée écrite, et l’instrument indocile dont il se sert ne lui permet pas de traduire tout ce qu’il a compris. L’oreille est frappée par l’air grossier qui l’entoure, et l’âme reçoit enfin, par un organe rebelle, l’horrible traduction de l’idée éclose dans l’âme du maestro. Chez vous, tout est grossier : l’instrument de traduction et l’instrument de perception ; chez nous, tout est subtil : vous avez l’air, nous avons l’éther ; vous avez l’organe qui obstrue et voile ; chez nous, la perception est directe, et rien ne la voile. Chez vous, l’auteur est traduit : chez nous il parle sans intermédiaire, et dans la langue qui exprime toutes les conceptions. Et pourtant, ces harmonies ont la même source, comme la lumière de la lune a la même source que celle du soleil, l’harmonie de la terre n’est que le reflet de l’harmonie de l’espace.»
Ainsi, même si l’harmonie céleste se trouve très largement dénaturée avant qu’elle ne parvienne à frapper nos sens, il n’en demeure pas moins qu’elle reste parfois suffisamment puissante pour éveiller, chez certains, des émotions susceptibles de les entraîner dans des sphères supérieures, alors que d’autres auditeurs, assis dans la même salle, ne percevront que déception et ennui. Rossini nous explique cette inégalité de perception :
«L’harmonie est aussi indéfinissable que le bonheur, la crainte, la colère : c’est un sentiment. On ne le comprend que lorsqu’on le possède, et on ne le possède que lorsqu’on l’a acquis. L’homme qui est joyeux ne peut expliquer sa joie ; celui qui est craintif ne peut expliquer sa crainte ; ils peuvent dire les faits qui provoquent ces sentiments, les définir, les décrire, mais les sentiments restent inexpliqués. Le fait qui cause la joie de l’un ne produira rien sur l’autre : l’objet qui occasionne la crainte de l’un produira le courage de l’autre. Les mêmes causes sont suivies d’effets contraires ; en physique cela n’est pas ; en métapsychique, cela existe. Cela existe parce que le sentiment est la propriété de l’âme, et que les âmes diffèrent entre elles de sensibilité, d’impressionnabilité, de liberté. La musique, qui est la cause seconde de l’harmonie perçue, pénètre et transporte l’un et laisse l’autre froid et indifférent. C’est que le premier est en état de recevoir l’impression que produit l’harmonie, et que le second est dans un état contraire ; il entend l’air qui vibre, mais il ne comprend pas l’idée qu’il lui apporte. Celui-ci arrive à l’ennui et s’endort, celui-là à l’enthousiasme et pleure. Évidemment, l’homme qui goûte les délices de l’harmonie, est plus élevé, plus épuré que celui qu’elle ne peut pénétrer ; son âme est plus apte à sentir ; elle se dégage plus facilement, et l’harmonie l’aide à se dégager ; elle la transporte et lui permet de mieux voir le monde moral. D’où il faut conclure que la musique est essentiellement moralisatrice, puisqu’elle porte l’harmonie dans les âmes, et que l’harmonie les élève et les grandit.»
L’avantage de la musique, c’est qu’elle s’adresse à chacun de nous, quel que soit notre degré d’évolution. C’est parce que nous n’avons pas tous la même sensibilité qu’il existe une large gamme de musiques diverses afin que chacun puisse y trouver de quoi l’émouvoir. Grâce à cette variété, tous les hommes peuvent, à un moment ou un autre, ressentir cette émotion qui aide les âmes à s’élever.
«Telle harmonie qui blesse un esprit aux perceptions subtiles, ravit un Esprit aux perceptions grossières et quand il est donné à l’Esprit inférieur de se délecter dans les délices des harmonies supérieures, l’extase le saisit et la prière entre en lui ; le ravissement l’emporte dans les sphères élevées du monde moral ; il vit d’une vie supérieure à la sienne et voudrait continuer de vivre toujours ainsi. Mais, quand l’harmonie cesse de le pénétrer, il se réveille, ou, si l’on veut, il s’endort ; dans tous les cas, il revient à la réalité de sa situation, et dans les regrets qu’il laisse échapper d’être descendu s’exhale une prière à l’Eternel pour demander la force de remonter. C’est pour lui un grand sujet d’émulation.»
Les Esprits aiment se regrouper autour d’un bon concert de musique.
«Nous avons, aux extrémités du domaine, certaines manifestations qui répondent au goût personnel de chaque groupe de ceux qui ne peuvent encore écouter l’art sublime ; mais au centre, nous avons la musique universelle et divine, l’art sanctifié par excellence.»
«Nos orienteurs en harmonie peuvent absorber des rayons d’inspiration dans les plans plus élevés, et les grands compositeurs terrestres sont, parfois, amenés dans des sphères comme la nôtre où ils reçoivent des expressions mélodiques, les transmettant, à leur tour, aux oreilles humaines, embellissant les thèmes reçus du génie qu’ils possèdent. L’Univers, André, est plein de beauté et de sublimité. Le flambeau resplendissant et éternel de la vie provient, à l’origine, de Dieu.»
Même des artistes plus contemporains reconnaissent volontiers n’être que l’instrument d’une inspiration supérieure. C’est le cas de William Sheller, par exemple, qui chante : «J’ai trouvé dans mon piano quelque chose qui ne m’appartient pas, une mélodie et des mots, quelque chose que je n’écrirai pas…»
«Pour que l’âme se dilate et s’épanouisse dans l’ivresse des joies supérieures, il est bien que l’harmonie vienne s’ajouter à la parole et au style ; il faut que la musique vienne ouvrir à l’intelligence les voies qui mènent à la compréhension des lois divines, à la possession de l’éternelle beauté.»
On pourrait comparer le travail médiumnique à celui du musicien d’un orchestre : chaque musicien, avec son instrument, a une présence, une sonorité qui lui est propre et qui est très agréable à entendre même s’il joue seul. Loin de vouloir effacer ces différences, on cherchera, au contraire, à les mettre en valeur en attribuant une partition spécifique à chaque instrument, ce qui fait que l’assemblage des rythmes et des notes de chacun créera, selon les instruments, des mélodies elles aussi très diverses. Toutes ses individualités, riches de leurs différences, entrainées à la fois collectivement et individuellement, n’intervenant qu’à tour de rôle, quand c’est nécessaire, dans le respect des autres, se trouvent alors unies en une œuvre sublime, d’une beauté, d’une émotion qu’aucun musicien n’aurait pu atteindre seul, mais qui n’aurait pas été aussi intense si l’un d’entre eux eut été défaillant.

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