Un des mystères les plus poignants est celui de la rencontre des êtres, de leurs amours spontanées, de leurs haines qui naissent sans cause, rien que par la vue du contour physique, rien que par l’audition des syllabes d’un nom. Quelle est cette prédestination qui pousse l’un vers l’autre deux créatures habitant des pays éloignés, appartenant à des races et à des milieux différents ? Quels sont ces choix, en quelque sorte obligatoires, qui font aimer l’un plutôt que l’autre, souvent en dépit des intérêts et des puissantes coalitions des familles ? Pourquoi, quand on s’est refusé au signe occulte de la prédestination, éprouve-t-on ce sentiment de destin manqué, ce déchirement de regret qui dure toute la vie ? Celui qui jette un regard en arrière sur le tableau de ses amitiés et de ses amours passées, qui regarde de loin le jeu des présences successives, a le sentiment qu’à certaines minutes sentimentales de l’existence, sont apparus ceux qui devaient apparaître, se sont éloignés ceux qui devaient laisser leur place à d’autres. Et cela se passe comme si les êtres obéissaient à un signal et en vertu de la correspondance des événements, se mettaient en marche vers nous, lorsque le moment était venu.
C’est dans le passé, dans le passé antérieur à la vie actuelle qu’est l’application de l’amour et de la haine. Chacun dans ses vies passées a créé des attractions et des répulsions, a mis en mouvement des courants de force. Ces forces agissent dans une certaine mesure durant la vie pendant laquelle elles ont été émises. Mais très souvent, celui qui les a émises meurt avant d’avoir reçu leurs efforts. L’amour et la haine se meurent avec lenteur, d’autant plus lentement qu’ils ont des buts moins matériels. Le désir brusque d’un homme a souvent une réalisation assez rapide.
Mais si cette réalisation n’a pas lieu, la force émise expirera assez vite, et n’aura pas de contrecoup, ou un contrecoup très faible, dans la vie suivante. Si un homme désire une femme, moins pour le plaisir physique qu’il pourra en obtenir, que pour un rapprochement intellectuel et spirituel, et si la vie contrecarre son aspiration, cette aspiration le suivra après la mort. Elle agira sur les transformations que l’homme subira entre la mort et une nouvelle naissance, elle s’incorporera à lui-même, elle fera partie de son être nouveau quand il s’incarnera, elle agira sur lui en tant que force, sera un des éléments vitaux qu’il transportera dans son existence. Si ce goût d’union pour une femme a été très puissant, s’il a été augmenté par l’impossibilité de se réaliser, il pourra déterminer le lieu où se produira son incarnation, la race et même la famille. Il sera un but secret que l’homme portera parmi les ombres de son inconscient, comme une statue voilée et merveilleuse. Cette déesse du souvenir sans image dirigera occultement ses actions, le poussera à son insu à faire certaines démarches, à se rendre dans certains lieux plutôt que dans d’autres. Quand il rencontrera la femme désirée jadis, dans un autre corps et parée d’un autre visage, il entendra l’appel de son ancien désir, il se précipitera, sans raison apparente vers elle, fera pour l’avoir des sacrifices inattendus. Il ne s’expliquera pas lui-même son amour, bien qu’il en trouvera dans le secret de son âme la légitimation. Il dira ce que disent tant d’êtres sans savoir combien cette parole correspond à une réalité vraie : il me semble que je vous ai toujours connue !
Les êtres se réincarnent par groupes et souvent dans les mêmes familles. Les rapprochements sexuels des vivants attirent ces aveugles muets qui traînent et palpitent dans l’invisible pour obtenir une forme terrestre. Les plus avides de vivre se jettent au hasard dans les matrices créatrices sans souci des tendres affinités qui leur auraient permis de rejoindre des parents aimés, un milieu favorable à leurs espoirs, quels qu’ils soient. Le goût de la vie matérielle, cette sensualité joyeuse qui fait jouir la créature des formes et de leurs sensations et qui est un motif d’admiration parmi les vivants, sera parmi les morts une terrible cause de malheur. Sous l’empire magnétique de cette jouissance à venir, l’être désireux de s’incarner, n’aura pas la patience d’attendre l’heure de son groupe, l’appel de ceux qui l’ont aimé et il se précipitera au hasard dans un milieu où l’intelligence ne sera pas cultivée où il souffrira de solitude.
Au contraire, celui qui aura su amasser en lui une certaine somme de détachement attendra l’heure favorable du retour collectif à la vie de ceux qu’il aime et dont il a été aimé. Selon son degré de conscience, il aura dans une certaine mesure la possibilité de choisir ses parents et le milieu où il se développera selon ses tendances.
Mais la haine a une aussi grande force attractive que l’amour. Elle déterminera aussi puissamment les rencontres futures, organisera avec la même science les enchevêtrements de faits qui, sous le nom de hasard, poussent les êtres les uns vers les autres. Celui qui a emmagasiné une pensée de vengeance est suivi par elle.
Elle fait partie de son âme, elle agit dans ses intentions, le pousse à son insu à des actes qui permettent de ressusciter la vieille fureur endormie. La peur, qui est engendrée par la haine agit aussi comme attraction et pousse celui qui l’éprouve pour d’antiques motifs, vers celui qui doit lui causer du mal, en vertu d’une cause dont l’effet n’est pas encore réalisé. Il en est de même pour la connaissance. La vie après la mort comporte une transformation des créatures. Dans le silence des états intermédiaires où la matière a perdu sa valeur, où seules comptent les réalités spirituelles, les créatures qui ont atteint un certain degré de conscience, jugent différemment les actes et les pensées de leur vie révolue, prennent des résolutions pour leur vie prochaine, souhaitent des rencontres qui leur permettront de faire un bien ou un mal qu’elles considèrent comme dû. Plus elles seront développées, plus elles se transformeront par des réactions issues d’elles-mêmes, plus elles seront différentes en apparaissant dans leur nouvelle forme. Les simples reviennent à peu près semblables et rapportent même à travers la naissance les caractéristiques physiques de leur dernière existence. N’ayant qu’une obscure conscience, ils n’ont pas trouvé en elle la faculté de métamorphose qui les aurait rendus meilleurs, les aurait fait se sculpter plus beaux. Ceux qui se sont aimés pourraient se reconnaître presque à leur visage et se trouver ressemblants si le hasard les mettait en présence de leurs anciens portraits, ce qui s’est produit dans quelques cas. Plus les êtres sont développés et plus ils ont dans leur âme la divine essence du monde, la vertu transformatrice de la métamorphose. Au cours des méditations de l’au-delà et de leurs études dans des mondes où ils sont à peine limités par un temps et un espace modifiés, ils ont acquis des notions nouvelles, ils ont été baignés par les vagues d’amour qui déferlent éternellement des inconnaissables sources cosmiques. Ils se sont éloignés de leur mieux de l’état minéral, le dernier état, celui où la métamorphose est la plus lente. La transformation de leur âme conditionne la transformation de leurs corps.
Ceux qui doivent se rejoindre le feront grâce à l’appel intérieur, l’intuition, qui est souvent confuse et dont il faut avec soin écouter l’indication. Ils aimeront moins par le ressouvenir des lignes d’un visage, que par une communication secrète leur annonçant la présence d’un être déjà aimé, avec lequel ils ont tenté l’union divine dans le passé, avec lequel ils ont plus de chance de le réaliser dans le présent.
Car les rencontres de ceux qui s’aiment n’ont qu’un seul but idéal, la réalisation de cette union divine. Le but apparent est la multiplication des êtres humains vivants par le phénomène de la procréation. Mais cela est un but dérisoire et si l’homme n’en avait pas d’autre, autant vaudrait pour lui se précipiter dans les ténèbres rétrogrades qui ramènent à la primitive condensation, aux royaumes muets de la pierre immobile. La multiplication par les germes est l’idéal animal que l’animal ne dépasse pas. L’homme occupe un degré plus élevé et un autre idéal lui a été assigné. Mais la nature a voulu que cet idéal soit recouvert d’un sextuple voile.
La tâche de l’homme est de deviner la nature de cet idéal. Aucune donnée n’en permet de découvrir même l’existence et la grande majorité des êtres traversent la vie, sans savoir pourquoi ils y sont venus. À peine si la nature a jeté de-ci de-là, comme en se jouant, des signes indicateurs de la divine vérité. Quelques voyants ont percé le mystère. Platon l’a connu et ne l’a pas écrit clairement. Swedenborg l’a laissé paraître dans ses rêveries. Il n’y a pas de preuve matérielle de la réalité de cet idéal et ceux qui veulent s’en rapprocher doivent le faire au petit bonheur, avec l’hésitation que cause l’incertitude.
Mais ceux qui éprouvent le feu intérieur de l’amour réciproque pressentent la réalité de l’union divine et savent intuitivement que c’est à deux, étroitement étreints, dans une parfaite pureté qu’ils peuvent accomplir la plus sublime des opérations magiques par laquelle ils deviendront des Dieux.
LE GRAND VOYAGE
Nous avons vécu avant la naissance et nous revivrons après la mort. Nos vies sont les étapes successives du grand voyage que nous poursuivons dans notre marche vers le bien, vers la vérité, vers la beauté éternelle.

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